Raconte Rose
Raconte Rose. A Paris au siècle dernier
Elle s’appelle Rose, comme sa mère qui était arpette chez Patou, elle habitait dans une chambrette sous les toits, en bas dans la rue, elle entendait les cris du vitrier, du rémouleur et l’orgue de Barbarie accompagnant le chanteur des rues qui poussait la ritournelle d’Aristide brillant
Je cherche fortune
À l’auberge du chat noir
Au clair de la lune
A Montmartre le soir
Quelques sous jetés par les locataires étaient sa seule fortune
Mais la rue était vivante
Elle se faisait appeler Vénus, elle était modèle auprès de plusieurs peintres qui fréquentaient la Coupole à Montparnasse
Elle était belle, bien en chair, la poitrine avantageuse, une taille fine, des fesses rebondies avec une petite fossette en bas des reins, un sexe bien fendu avec une toison fournie, d’un beau brun qu’elle prenait soin de parfumer le matin à l’eau de lavande
Elle était très demandée dans le milieu cosmopolite des rapins qui n’avaient pas toujours l’argent pour la rémunérer, mais bonne fille, elle faisait crédit, se contentant d’être belle et appréciée par tous
Elle ne couchait jamais avec ses peintres, elle était fidèle à Jules qui l’attendait patiemment chez elle, il faisait des petits boulots par-ci par-là, se contentant du travail de Vénus, faut dire qu’il était un peu paresseux cet homme, sauf au lit, et pour Rose, c’était le principal
La seule chose qui la taquinait, c’était certains portraits d’elle, elle si belle, ne se voyait pas comme cela. Tantôt maigre comme un sac d’os, le nez à l’envers, les bras derrières le dos, rousse, un œil en place du nombril ou la fesse anormalement développée. Quand ce n’était pas carrément son corps en triangle ou en lignes enchevêtrées, mais comme elle fréquentait un monde hors du commun , parfois dopé par l’absinthe, l’opium, l’alcool ou révolté par tout ce qui est la vie bourgeoise, elle ne s’en offusquait pas, la seule chose qui comptait c’était Jules qu’ elle retrouvait le soir, pour lui, elle se déshabillait lentement, lui abandonnait son corps, lui procurait maints plaisirs, lui seul avait le droit d’embrasser son centre du monde, de remettre son œil à sa place, de caresser son visage avec ses pleins et ses déliés, de tordre sa chevelure pour l’ébouriffer ensuite, de baiser ses deux oreilles si jolies, son cou si fier, ses seins si pleins, son ventre qui ne réclamait que d’être maternel, et là, elle était Femme.
Souriant en pensant à son avenir, elle se disait, je suis là et, tant que des regards inconnus à ce jour m’admireront. Acrochée aux cimaises des musées dans les expositions, dans les salons, tableaux peints par des artistes, inconnus ce jour mais reconnus plus tard, et LA….
je serais éternelle
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